Les défis de la voiture électrique

La voiture 100% électrique à batterie intégrée

Le très fort développement attendu des véhicules électriques, illustré en septembre 2019 par les annonces au salon de Francfort avec la nouvelle ID3 de Volkswagen et de nombreux autres modèles, offre un espoir réel et significatif pour décarboner les transports et réduire rapidement notre dépendance au pétrole. Les hauts niveaux d’investissements prévus dans la filière attestent de cette dynamique et laissent entrevoir une baisse significative des coûts de production. Ainsi une étude du cabinet Deloitte annonce la parité coût entre le véhicule thermique et le véhicule électrique à batterie dès 2022.

Après avoir rappelé les enjeux de la décarbonation du transport et de la mobilité nous passerons en revue trois questions régulièrement mises en avant dans le débat pour ou contre le véhicule électrique. Nous verrons en particulier que :

  • les impacts environnementaux du véhicule électrique, et particulièrement des batteries, sont connus, limités, et maîtrisés ;
  • les enjeux de ressources, s’ils sont importants pour le pétrole, sont non significatifs concernant les matériaux nécessaires pour la production en masse de batteries ;
  • les perspectives en terme d’emplois pour la filière automobile sont inquiétantes pour la France – et encore plus si un effort d’industrialisation important n’est pas mené sur la filière du véhicule électrique, en particulier sur la production et le recyclage de batteries.Outils de la mobilité quotidienne par excellence, très majoritairement utilisés pour le trajet domicile-travail par les Français et les Européens, les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers sont responsables de 72 % des émissions de gaz à effet de serre du transport en France en 2017, soit environ 100 MtCO. Les transports dans leur ensemble représentent 138 MtCO2, qui devraient se réduire, selon la Stratégie Nationale bas Carbone, à 128 MtCO2 sur la période 2019-2023 puis à 112 MtCO2 sur 2024-2028, pour être quasi-nulles à l’horizon 2050. Or les émissions d’échappement (selon les protocoles d’homologation) des véhicules particuliers vendus reprennent leur croissance à 120 g CO2 / km en 2018 contre 118 en 2017.
  1. La voiture électrique, vecteur essentiel de décarbonation des transports

Compte tenu de l’aménagement du territoire, et des dynamiques de développement des métropoles, il est nécessaire de proposer des alternatives à la voiture thermique qui permettent néanmoins une « mobilité à 360° et 70 km/h ».

Les vecteurs possibles sont déjà bien connus. Le vélo et les transports en commun, malgré de fortes croissances, ne permettent pas d’infléchir la courbe du trafic automobile. Les efforts sont à faire porter sur le poids des véhicules et leur taux de remplissage ainsi que la réduction de nos besoins de mobilité. Mais il faut aussi changer d’énergie : basculer sur l’électrique (éventuellement en hybride de manière transitoire), sur la filière gaz pour le transport lourd et plus tard vers l’hydrogène et le biométhane.

En termes d’impact carbone, la filière combinant électricité renouvelable (solaire en particulier) et véhicule électrique à batterie est de loin la plus performante. Passer par le vecteur hydrogène est une alternative possible à la batterie mais qui a aujourd’hui deux inconvénients pour les voitures particulières : le coût des véhicules hydrogène est trop élevé et le sera durablement (car la courbe d’apprentissage n’est pas sur la même dynamique que celle des batteries) et, par ailleurs, le rendement énergétique global est moins bon (car il faut transformer l’électricité en hydrogène puis faire la transformation inverse…. En revanche le gaz (Hydrogène ou biométhane) sera probablement bienvenu pour aider la gestion des productions intermittentes dans les réseaux électriques si la pénétration des énergies renouvelables variables devient très significative.

Ainsi, à court terme (rappelons ici que notre enjeu commun est bien d’infléchir les émissions sans attendre !) la solution de la voiture électrique à batterie va s’imposer car elle est la seule économiquement viable et dont les perspectives de coûts sont compatibles avec une logique de marché.

En particulier son prix, batterie comprise, va s’aligner avec celui de la voiture thermique d’ici 2022 à 2025 suivant les géographies, ce qui ouvre la voie à un déploiement de masse (sans compter les soutiens indirects apportés par un certain nombre d’agglomérations qui souhaitent sortir le diesel des villes, le confort perçu par les clients qui ne reviennent plus au véhicule thermique une fois goûté le confort de l’électrique ou les moindres coûts de fonctionnement et d’entretien).

  1. Les impacts environnementaux de la VE sont de second ordre par rapport à son bénéfice pour le climat

Deux sujets sont à évoquer : les ressources mobilisées pour la production de la voiture et le recyclage des batteries. La question de la production des batteries fait souvent l’objet d’un débat sur la disponibilité des matières dites « rares » (il n’y a pas assez de Lithium…) et de la lancinante question du recyclage des batteries, sujet qui du reste revient tout autant s’agissant des panneaux solaires.

Il s’agit là d’un double mauvais procès. Mais avant d’y répondre rappelons quelques données de base.

  • Nos voitures actuelles, d’un poids moyen d’une tonne et demie, ont une durée de vie de l’ordre de 19 ans ; environ 1,15 Millions de voitures (pour la France) sont mises hors d’usage chaque année et mises en centres agréés, ce qui représente environ 1,2 millions de tonnes de matériaux divers à recycler. Le taux de réutilisation et valorisation des matériaux composant est d’environ 95% ces voitures, avec des filières qui fonctionnent bien même si les citoyens ne les connaissent pas. En fait, la question principale est relative aux véhicules en fin de vie qui ne sont pas mis en décharge contrôlée (environ 500 000 véhicules d’après une estimation du gouvernement), sujet sur le quel la priorité doit être mise.
  • Concernant la vie des voitures sur la route, un pack de batteries d’une Zoé pèse 300 kg environ dont 10 kg de Lithium, 5 kg de Cobalt et de Nickel, et 30 kg de graphite. Le reste est constitué de métaux et de l’électrolyte liquide, dont la valeur est plus faible. Ces matériaux ne sont pas consommés : au bout de 10 années de durée de vie les quantités de Lithium, Cobalt et Nickel sont toujours présentes, simplement sous une forme différente…
  • Une voiture classique « consomme » quant à elle chaque année 1 000 kg de pétrole (par définition non renouvelable) qu’elle transforme en CO2. Mais comme nous ne voyons pas la quantité qui passe par la pompe, nous n’avons pas conscience du volume de matière mis en œuvre…La principale idée reçue sur les batteries réside dans la supposée difficulté à les recycler. Rappelons d’abord que la question du recyclage n’est pas spécifique à cette technologie. Ensuite, pour les batteries il s’agit d’un enjeu de moyen terme plus que de court terme compte tenu des volumes. Dans les 10 prochaines années, ces volumes à recycler seront amenés à augmenter continuellement. En effet, le marché mondial actuel est modeste, de l’ordre de 100 000 tonnes qui sont toutes quasiment intégralement recyclées (majoritairement en Chine, mais nous avons en Europe et en France des acteurs qui savent très bien faire, comme par exemple la SNAM), pour atteindre de l’ordre de 2 millions de tonnes de batteries à traiter. En toute fin de vie, des solutions d’hydrométallurgie permettent de séparer les composants et de boucler le cycle. Il convient donc de distinguer les sujets « recyclage matière » pour des raisons géopolitiques / géostratégiques (exemple avec le Li, le Co, le Mg) et les sujets « empreinte environnementale »

L’impact carbone des véhicules et les besoins en matériaux des batteries

  • La seconde idée reçue concerne l’impact carbone des voitures à batterie (VEB ou BEV) qui serait le même voire pire que celui des voitures thermiques. Cet impact peut s’évaluer, en analyse de cycle de vie, en intégrant les émissions liées à la fabrication de la voiture et de la batterie, à la circulation du véhicule et à sa fin de vie. Les calculs montrent qu’en France, avec une électricité peu carbonée, cet impact est bien meilleur que celui d’une voiture thermique, comme le montre le graphique ci-après et l’ensemble des études disponibles. La situation est évidemment différente dans des pays où l’électricité est faite à base de charbon ou d’un mix très carboné.
  • Enfin, l’enjeu du recyclage est d’abord un enjeu de volume et de justification économique plus qu’un enjeu technique ou financier : il est très difficile d’obtenir aujourd’hui des investissements dans le recyclage car les matières premières sont disponibles abondamment et que les batteries à recycler sont encore trop peu nombreuses !
  • De plus la durée de vie des batteries sera sans doute plus grande qu’imaginée à ce stade : après les 8 ou 10 ans dans une voiture, la batterie pourra être utilisée comme stockage stationnaire de 5 à 10 ans, offrant pour un prix modique une solution très compétitive pour aider à l’équilibre offre / demande.

Le recyclage des batteries

Ensuite, et contrairement à ce qu’argumentent les détracteurs de cette technologie, les minerais utilisées dans la batterie (Lithium, Nickel, Cobalt) sont assez largement disponibles par rapport à des besoins encore limités. Une batterie de Zoé (300 kg) représente comme évoqué précédemment quelques dizaines de kg de métaux « nobles » le reste étant des minerais classiques comme l’aluminium, le fer, etc. Par ailleurs, la recherche de nouveaux gisements n’en est qu’à ses débuts.

L’usine de Tesla par exemple, qui mobilise plus de 6000 tonnes de Lithium par an, se fournit en grande partie en Amérique du Nord, qui n’est pas réputée pour être un gros producteur. L’usine de Northvolt, impulsée par Volkswagen (un investissement de près d’un milliard d’euros) se fournira en Europe.

Par ailleurs, nous aurons de moins en moins besoin de ces minerais du fait de l’évolution des technologies. L’utilisation du cobalt a ainsi été divisée par 3 en quelques années avec l’abandon de la technologie LiCO2 et le passage de la technologie NMC 1:1:1 au NMC 8:1:1. Les recherches en cours, en particulier celles de Jeff Dahn, expert pour TESLA, promettent ainsi des cellules moins chères (moins de 100$/kWh) et plus durables (6000 cycles soit 1,5 millions de km parcourus) ce qui diminue mécaniquement la quantité de matière utilisée pour le même service de stockage.

Enfin, on recycle déjà et on pourrait recycler beaucoup plus. Seulement, comme déjà noté ci-avant, encore faut-il que les prix et les volumes le justifient sur le plan économique. Cela nécessitera sans doute des investissements stratégiques locaux tout à fait à la portée de l’Europe. En revanche, ne rien faire et envoyer toutes nos ressources à recycler en Asie, leur fournissant ainsi une nouvelle source de matériaux facilement valorisables, n’est pas une stratégie soutenable.

Évoquons rapidement un dernier point : ces minerais seraient exploités dans des conditions sociales et environnementales inacceptables. Il est malheureusement réel que l’industrie extractive (et minière en particulier) a toujours des impacts. La vigilance s’impose donc évidemment, mais pas plus ou moins dans ces minerais rares que pour le pétrole, le charbon ou…l’uranium.

  1. Contrecarrer autant que possible les impacts négatifs en terme d’emplois et de balance commerciale

Il fait maintenant consensus que le passage à l’électrique va détruire beaucoup d’emplois en Europe dans l’industrie automobile, les différentes études évoquent de 20 à 40% des emplois d’un secteur employant environ 13 Millions de personnes en Europe et en particulier chez les garagistes (quasiment plus d’entretien pour une voiture électrique). En ordre de grandeur une voiture électrique nécessite 60% de pièces en moins (15 000 pièces contre 35 000), et une partie importante de la valeur ajoutée se retrouve dans la batterie.

Concernant la balance commerciale, citons une note de France Stratégie:

« Les voitures particulières utilisées pour le transport individuel consomment chaque année en France environ 23 millions de tonnes équivalent pétrole, ce qui représente 164 millions de barils de pétrole ou encore l’équivalent de 26 milliards de litres de pétrole. La France ne produisant que 1  % de sa consommation, ce sont 10 milliards de dollars de pétrole qui sont importés chaque année pour le transport individuel en voitures particulières. Atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 — cap fixé par le ministre de la Transition écologique et solidaire — implique que l’intégralité des voitures circulant en France soient électriques. Si l’on prend comme hypothèse un parc de 32 millions de voitures électriques équipées chacune d’une batterie de 50 kWh qui coûte 150 $/kWh à produire, la fabrication de ces batteries représente un coût total de 240 milliards de dollars sur trente ans, soit 8 milliards par an. Si nous ne fabriquons pas ces batteries sur notre sol, les importations de batteries annuleront donc la grande majorité des économies réalisées sur nos importations de pétrole. »

La conclusion pourrait être nuancée avec un prix de la batterie à 100$/kWh voire à 70 $/kWh, qui ramènerait les importations à un montant de 3 à 5 milliards de dollars annuels ; mais la question est évidemment centrale.

Les batteries vont elles se faire en Chine, en Corée ou au Japon ? Sans aucun doute oui, sans effort ni volonté politique forte en France. Le projet de Northvolt, déjà évoqué, démontre qu’il y a de la place en Europe pour des usines de production de batteries (jusqu’à 50% de la valeur des futures voitures !). Les compétences sont là, les capitaux abondent et les produits peuvent être à des niveaux de prix compétitifs. Il est par contre absolument essentiel de ne pas rater le train et de démarrer dès maintenant avec des investissements du même niveau que ceux menés par nos partenaires ou concurrents asiatiques.

C’est tout l’objet des projets de GigaFactory portés par Northvolt, ou Tesla aux USA : internaliser les compétences, prendre part à la course à la taille qui s’annonce, indispensable pour baisser les coûts, et s’appuyer sur l’excellence de la R&D européenne, fonctionnant en partenariats, pour faire émerger en Europe des champions mondiaux qui participeront à l’atteinte des objectifs de baisse des couts, ce qui suppose aussi de viser les technologies de masse.Les procédés et compétences associés sont ceux de la chimie, de l’électrométallurgie, des domaines d’excellence pour les ingénieurs et ouvriers français et européens.

C’est une vraie opportunité unique de réindustrialisation en Europe et en France !

Source: Alain Grandjean, Benoit Lemaignan (Senior Manager chez Innoenergy) et Gilles Moreau (Directeur Technique de Lancey Energy Storage)

en résumé la voiture thermique sera obsolète d’ici 2025 

La gestion de l’énergie est le véritable défi du millénaire !

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