La mobilité électrique est-elle une mobilité durable ?

Durable comment pourquoi ?

L’électrification de nos moyens de transports, historiquement propulsés à l’aide de carburants fossiles : réponse aux enjeux climatiques ? On observe notamment l’émergence de la voiture électrique. Mais de nombreux autres moyens de transport (deux-roues motorisés, bus, poids lourds…) se mettent également à l’électrique. Ces évolutions technologiques nous mènent-elles vers une mobilité durable ?

Vous avez dit durable ?

La définition de la « durabilité » en matière de développement humain, telle qu’exposée dans le « rapport Brundtland » de 1987 [1] (ONU), est la suivante : un développement durable est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

On comprend donc que la question de la durabilité en matière de mobilité est bien vaste…trop peut-être ? Pour plus de clarté on se contentera ici de donner quelques éléments de réponse. On se focalisera sur la problématique des émissions de gaz à effet de serre (GES); plus particulièrement sur le cas (limité) des véhicules particuliers, circulant en France. Au passage, on s’appuiera sur de nombreuses références qui permettront d’élargir la réflexion.

Le véhicule particulier en France

L’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques délivre des données sur les équipements des ménages. Les derniers chiffres disponibles (2017, [2,3]) indiquent :

  • 32,5 millions de véhicules en circulation en France,
  • 84 % des ménages possèdent au moins une voiture,
  • 13 194 km/an de parcours moyen par véhicule.

Les véhicules électriques (aussi appelé VE) particuliers ne représentent qu’une très faible part des véhicules en circulation. Le cumul des immatriculations en France entre 2010 et 2018 totalisant environ 163 000 VE [4]. Les parts de marchés du véhicule électrique sont cependant en forte hausse : en 2018, 31000 VE particuliers ont été immatriculés (+25% en un an), quand les ventes de véhicules thermiques stagnent sur le même temps [5]).

En matière d’émissions de GES, le secteur des transports est un très gros contributeur. En France, l’ensemble des transports représente 137,9 millions de tonnes équivalent CO2 (tCO2éq) rejetées en 2017 (30 % du total national) [6]. Les voitures particulières représentent 56 % des rejets de CO2 du transport routier.

Répartition des émissions de CO2 du transport routier en France par type de véhicule.

Le véhicule électrique : Bilan positif à l’utilisation…

Mes déplacements seront-ils plus vertueux si je passe à l’électrique ? On considère ici seulement l’énergie dépensée pour l’utilisation du véhicule.  Une réponse peut être formulée assez simplement, en identifiant quelques données clés :

Bilan des véhicules thermiques

Les véhicules thermiques neufs immatriculés en 2017 consomment entre 5 L/100 km (moyenne véhicules diesel) et 6 L/100 km (véhicules essence) [Source]. Emission de GES moyenne de 115 gCO2/km mini. Ces émissions sont directement due à la combustion du carburant.

Côté véhicule thermique, il faut ajouter les émissions grises liées à l’extraction, au raffinage et à l’acheminement du carburant. Une étude de 2014 du consortium JEC donne les chiffres de 554 gCO2éq/L pour le diesel et 442 gCO2éq/L pour l’essence. Ces chiffres étant estimés pour les carburants vendus en Europe.

Faute aux SUV essence (source) les voitures neuves mises sur le marché en 2018 émettaient en moyenne 128,4 grammes de CO2 au kilomètre, soit 0,7 gramme de plus que douze mois auparavant.

Bilan des véhicules électriques

Ces chiffres sont à comparer avec les émissions directes des VE, c’est-à-dire un vertueux 0 gCO2/km… On oublie ici les émissions « grises » (cachées), plus difficile à évaluer – elles dépendent d’un très grand nombre de facteurs.

Coté VE, il faut compter les émissions liées à la production d’électricité : une étude récente [9] indique que la production d’électricité et sa distribution (jusqu’au réseau basse tension) engendre des émissions moyennes de 447 gCO2éq/kWh en Europe. Le chiffre pour la France, i.e. 105 gCO2éq/kWh, est beaucoup plus faible, notamment grâce à la prépondérance de la production nucléaire dans le mix énergétique national. Pour convertir ce chiffre en émissions « par kilomètre parcouru », il faut s’intéresser à la consommation en énergie des VE. Considérant les 5 modèles les plus vendus en France en 2018 (qui représentent plus de 80 % des immatriculations de VE [5]) on constate une autonomie annoncée entre 150 et 380 km pour des batteries de 16 à 42 kWh de capacité.

Une estimation grossière donne donc une consommation d’énergie de l’ordre de 13 kWh/100 km, et donc une émission « grise » de l’ordre de 14 gCO2éq/km pour un VE s’alimentant sur le réseau électrique français.

Consommation d’énergie et émissions de GES pour différents types de véhicules.

… mais un cycle de vie pas tout rose !

L’utilisation d’un VE est donc très avantageuse (d’un point de vue climatique !) par rapport à un véhicule thermique. Mais nous n’avons fait que la moitié du chemin. Une étude plus complète passe par une analyse de cycle de vie, à laquelle nous nous intéressons maintenant.

Une analyse de l’état de l’art a été récemment conduite par l’Agence Européenne pour l’Environnement [10], concluant que la majorité des études scientifiques publiées montrent des émissions de GES inférieures pour les VE par rapport aux véhicules thermiques.

La production des véhicules

Avant même de faire son premier kilomètre, un véhicule possède déjà une large empreinte carbone due à sa fabrication. D’où l’intérêt du Revamping ou mise à jour de sa voiture pour réduire les GES !

Dans le détail, l’empreinte carbone totale d’un VE est largement dominée par sa phase de production (notamment pour la batterie, qui requiert l’extraction et la transformation de nombreux minerais). De plus, la production d’un VE engendre des émissions de GES en moyenne 1,3 à 2 fois plus élevées que la production d’un véhicule thermique (même s’il existe de larges variations en fonction des types de véhicules, technos de batteries, etc.).

Une analyse publiée en 2017, et portée notamment par la Fondation pour la Nature et l’Homme annonce un chiffre de 9.5 tCO2éq émis pour la production d’une citadine électrique, à comparer avec un chiffre de 6 tCO2éq pour une citadine thermique [11]. Le cas d’une berline est encore plus éloquent. On compte 19 tCO2éq pour la production d’une berline électrique et seulement 7 tCO2éq pour une berline thermique. Il est donc nécessaire de parcourir plusieurs milliers de kilomètres avant que le VE ne devienne plus vertueux que le véhicule thermique. En reprenant les chiffres de la partie précédente (en supposant qu’ils sont valables pour une citadine): un véhicule thermique peut parcourir 25000 km (2 années d’utilisation moyenne) avant de dépasser l’empreinte carbone d’un VE en sortie d’usine.

Comparaisons des émissions totales de GES pour une citadine essence et une citadine électrique

Nouveaux usages et fin de vie des batteries électriques

Le recyclage en fin de vie ne sera pas exempt d’émissions non plus. Il faut noter qu’il existe des incertitudes sur l’impact carbone effectif de la phase de recyclage des batteries de VE [10], et que le bilan pourrait encore s’alourdir à cette ultime étape. Néanmoins il existe des méthodes pour amortir l’empreinte climatique des batteries, par exemple :

  • Diversifier les usages de la batterie par le Vehicle-to-Grid (V2G ou V2H). Il s’agit de tirer parti de la disponibilité des batteries de VE en stationnement (en moyenne plus de 95 % du temps pour un véhicule particulier !). Il est possible d’adapter les cycles de charge/décharge du VE pour bénéficier d’une énergie renouvelable, moins chère, ou tout simplement indisponible lors de pannes sur le réseau de distribution.
  • Étendre la durée de vie en réutilisant les batteries de VE. La « fin de vie » d’une batterie pour son usage de transport ne correspond pas à sa fin de vie effective, la capacité subsistante peut encore servir !

Pour aller plus loin

Finalement, il est possible d’affirmer qu’investir dans un véhicule électrique permet de faire un pas vers une mobilité plus durable. Du moins en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Cette situation est particulière à la France dont le mix électrique est très peu carboné (par rapport à la moyenne européenne). Ceci limitant ainsi fortement les émissions grises des voitures électriques.

Pour dresser un bilan complet il resterait à discuter pollution de l’air, utilisation de ressources minérales rares (pour la fabrication des batteries), recyclage etc. Mais ce sera peut-être pour une prochaine fois !

Références et sources

[1] Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, Notre avenir à tous, 1987, www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf

[2] INSEE, Tableaux de l’économie française, Edition 2019, www.insee.fr/fr/statistiques/3696937

[3] INSEE, Véhicules en service en 2017, www.insee.fr/fr/statistiques/2045167

[4] AVERE-France, Baromètre de la mobilité électrique, Jan. 2019 www.avere-france.org/Uploads/Documents/15477405097b6619b012c5c352aacddcc5824d6d0c-Barometre%202018.pdf

[5] Service de la Données et des Etudes Statistiques, Données sur les immatriculations des véhicules, Avril 2019, www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/donnees-sur-les-immatriculations-des-vehicules

[6] Commissariat Général au Développement Durable, Chiffres clés du transport, Edition 2019, https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-du-transport-edition-2019

[7] ADEME, Evolution du marché, caractéristiques environnementales et techniques, véhicules particuliers neufs vendus en France, Edition 2018, www.ademe.fr/evolution-marche-caracteristiques-environnementales-techniques-vehicules-particuliers-neufs-vendus-france

[8] Centre Commun de Recherche, Well-to-Wheels Analysis of Future Automotive Fuels and Powertrains in the European Context, Well-to-Tank Report Version 4.a, Avril 2014 http://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/bitstream/JRC85326/wtt_report_v4a_april2014_pubsy.pdf (en anglais)

[9] Moro & Lonza, Electricity carbon intensity in European Member States: Impacts on GHG emissions of electric vehicles, Transportation Research Part D, Oct. 2018, http://dx.doi.org/10.1016/j.trd.2017.07.012 (en anglais)

[10] Agence Européenne pour l’Environnement, Electric vehicles from life cycle and circular economy perspectives, TERM 2018 report, www.eea.europa.eu/publications/electric-vehicles-from-life-cycle (en anglais)

[11] Fondation pour la Nature et l’Homme, Quelle contribution du véhicule électrique à la transition écologique en France ?, Déc. 2017, www.fondation-nature-homme.org/magazine/quelle-contribution-du-vehicule-electrique-la-transition-energetique

…pourquoi ne pas passer par le Revamping ?? surtout éviter l’usurpation d’identité des hybrides dans la mobilité durable !!

Un commentaire

  1. Ping :l'Homme défie la nature avec ses records, éruptions volcaniques comprises

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