Gestion de l’énergie défi du millénaire !
Publié le 24 février 2020 par Thomas Chretien
Je suis un passionné d’automobile – et l’un des points qui me passionne le plus avec le véhicule 100% électrique à batterie, c’est justement de dépassionner le sujet. Oui, ces autos délivrent un plaisir de conduite exceptionnel grâce à leur centre de gravité placé très bas (la batterie entre les essieux). Oui, leurs performances sont ébouriffantes (grâce au couple instantané du moteur électrique) et délivrées tout en silence et en l’absence de vibrations. Et oui, quand on aime conduire le plaisir de rouler sans émissions à l’échappement est indéfinissable.
Pour autant, je compare souvent une voiture à un gros chat : elle dort 22 heures sur 24…
L’on s’en sert une heure le matin pour aller travailler, puis une heure le soir pour rentrer du travail. Le reste du temps elle “dort” immobile sur sa place de stationnement et c’est là que le véhicule 100% électrique à batterie prend un avantage considérable sur toutes les autres technologies : si l’on dépassionne le sujet, il ne s’agit ni plus ni moins d’une grosse batterie sur roues, capable de déplacer de l’énergie d’un point A à un point B.
Et si on utilisait alors sa batterie pour rendre de l’énergie au réseau électrique ? Ou votre VE deviens la batterie de votre maison ! (V2H) durant les pic énergétique.
Pourquoi ne pas utiliser sa batterie pour stocker de l’énergie produite aux heures où la demande est inférieure à la production puis la ré-injecter dans le réseau lorsque la demande est supérieure ? Les bénéfices sont multiples :
- réguler les flux d’électricité du réseau national
- accélérer l’intégration des énergies renouvelables
- rémunérer celui qui met sa batterie à disposition du réseau
- maximiser l’utilisation des batteries en première vie pour optimiser leur bilan environnemental.
Comment ça marche ?
Les automobiles sont des vecteurs de mobilité qui consomment de l’énergie lorsqu’elles se déplacent. C’est aussi le cas d’un véhicule 100% électrique à batterie, qui au lieu de faire le plein de carburant dans une station-service se recharge à partir d’une simple prise ou d’une borne domestique ou publique. L’électricité passe du réseau au véhicule selon un mode de charge unidirectionnel identique à celui d’un plein de carburant traditionnel.
La particularité du véhicule électrique à batterie est que cette dernière est conçue pour stocker de l’énergie et la restituer. Elle se charge et se décharge : elle est bidirectionnelle.
La batterie se charge sur une prise ou borne de recharge ou lorsque le véhicule freine et régénère de l’énergie. Elle se décharge quand le moteur électrique est sollicité pour se déplacer. Mais elle peut aussi se décharger et restituer de l’énergie en dehors du véhicule : c’est le principe du Vehicle-to-X (V2X) dont il existe plusieurs échelles.
Le véhicule 100% électrique à batterie peut ainsi rendre de l’énergie à l’échelle d’un logement (ce qu’on l’appelle Vehicle-to-Home / V2H), d’un bâtiment (Vehicle-to-Building / V2B) ou directement au réseau électrique : c’est la technologie Vehicle-to-Grid / V2G.
Le principe est d’utiliser les batteries des véhicules pendant les plages horaires où ces véhicules sont stationnés pour y stocker de l’énergie produite aux heures où la demande inférieure à la production ou la ré-injecter dans le réseau électrique lorsque la demande est supérieure.
L’intérêt est double pour le gestionnaire de réseau (RTE, en France) et les producteurs d’énergie. Il s’agit d’abord de pouvoir réguler les flux d’électricité : en effet, la fréquence du réseau électrique doit être maintenue à 50 Hz ce qui correspond à un équilibre constant entre la consommation et la production d’électricité. En France, cet équilibre est en général tenu en faisant varier notre production d’électricité grâce à nos centrales, puisque jusqu’en 2004 l’ensemble de la chaîne production-transport-distribution de l’électricité se faisait sous le contrôle d’un seul et un même opérateur.
Mais plus l’intégration des énergies renouvelables est élevé, plus cet objectif est difficile à tenir de par la nature-même des ENR qui sont intermittentes : le solaire bien sûr même si nous disposons de plus de 60 ans de recul sur la prévisibilité, mais aussi et surtout l’éolien ; c’est le cas au Danemark par exemple dont le mix éolien est supérieur à 40%.
Il s’agit donc bien de pouvoir accélérer l’intégration des énergies renouvelables en augmentant les capacités de réserve du gestionnaire du réseau national. Cela permettra à terme de supprimer les centrales uniquement utilisées durant les pointes de consommation et dont l’électricité produite est fortement carbonée. Cliquez ici pour aller plus loin sur les notions de Services Systèmes & Mécanismes d’Ajustement
Pour le consommateur l’intérêt est également majeur. Lorsque son véhicule est stationné sur son lieu de travail la journée ou à son domicile la nuit, le temps de mise à disposition de sa batterie au réseau peut être rémunéré et générer ainsi de nouveaux revenus ou une réduction des frais liés à la recharge.
En effet les véhicules 100% électriques intègrent déjà aujourd’hui des capacités de batterie offrant un rayon d’action bien suffisant pour la mobilité du quotidien : une batterie de 40 kWh dans une Nissan LEAF permet de parcourir près de 300 km avec une seule charge.
L’étude IPSOS Avere / Mobivia réalisée en septembre 2018 rappelle que 80% des français font moins de 50 km par jour, la moyenne s’établissant à 29 km soit environ 6 kWh d’énergie utilisée sur les 40 kWh de capacité des batteries… Il reste ainsi plus de 30 kWh disponibles, chaque jour, pour des services au réseau électrique du type régulation de fréquence ou stockage d’énergie renouvelable. A titre illustratif cela correspond à la consommation quotidienne d’un foyer de 3 personnes dans une maison de 70m² utilisant du chauffage électrique.
Le V2G, grâce au standard de recharge CHAdeMO
Il existe deux modes de recharge d’un véhicule électrique :
- Courant alternatif (AC) avec chargeur embarqué dans le véhicule et connectique T2S
- Courant continu (DC) avec borne de recharge rapide et connecteur Combo CCS ou CHAdeMO
A date le seul standard de recharge autorisant la bi-directionnalité et donc le Vehicle-to-Grid est le standard CHAdeMO dont sont notamment équipés la berline Nissan LEAF et l’utilitaire Nissan e-NV200.
La bi-directionnalité de ce standard de recharge a été développée dès 2011 au Japon pour permettre aux véhicules électriques de participer à la stabilisation du réseau électrique. Depuis, plus de 7 000 bornes Vehicle-to-Home (V2H) ont été déployées au Japon pour permettre de lisser la consommation à la pointe : l’énergie domestique est puisée dans le véhicule, qui est ensuite rechargé pendant la nuit.
Depuis 2013 tous les véhicules 100% électriques Nissan sont compatibles V2G, qu’il s’agisse des véhicules neufs comme des véhicules d’occasion en parc roulant.
Le déploiement, où on est-on ?
Plusieurs projets expérimentaux sont en cours dans de nombreux pays pour trouver le bon modèle économique qui sera intéressant pour le réseau électrique comme pour l’utilisateur final.
Au sein de l’Union Européenne, 18 pilotes sont en cours d’après le recensement SEEV4-City publié par l’AVERE. La plupart des projets sont localisés aux Pays-Bas, Danemark et Royaume-Uni qui ont pour point commun une stabilité de fréquence difficile à maintenir pour des raisons de qualité de réseau et/ou de part d’énergie renouvelable importante au sein de la production électrique.
Mais les choses s’accélèrent : en octobre 2018, la Nissan LEAF est la toute première voiture 100% électrique est être officiellement homologuée en Allemagne pour pouvoir suppléer le réseau électrique. Et les premiers résultats montrent un revenu de 20 € par semaine soit environ 1000 € par an.
En septembre 2019, EDF choisit Nissan pour accélérer l’émergence de la recharge intelligente (le smart charging) en développant une offre commerciale de Vehicle to Grid – V2G sur 4 marchés européens : le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie et bien sûr la France.
Les premiers déploiements ont commencé : 3 bornes V2G ont été déjà installées à Cestas en Gironde, au sein de l’entreprise HoTravail qui dispose de 10 utilitaires Nissan e-NV200, qui parcourent 200 km / jour mais qui restent stationnés au siège de 17h à 7h du matin.
2 bornes V2G ont également déjà été déployées pour la flotte de la rédaction de Nice-Matin:
La vidéo ci-dessous, réalisée par EDF avec Jamy à l’occasion de la fête des sciences, est très didactique pour mieux appréhender l’impact du véhicule 100% électrique à batterie sur le réseau électrique en France, et surtout l’opportunité qu’il représente :
Bilan carbone de la batterie de voiture électrique ?
Le véhicule 100% électrique à batterie propose un bilan carbone bien plus favorable à celui d’un véhicule thermique et ce même lorsque la production électrique est particulièrement carbonée – ceci grâce au rendement du moteur 100% électrique qui est proche de 100% alors que celui d’un moteur thermique oscille entre 30 et 40%. Il faut savoir que d’un point de vue énergétique, 1 litre de carburant représente environ 10 kWh – cela signifie qu’un véhicule 100% électrique qui consomme en moyenne 15 kWh aux 100 km, consomme l’équivalent de 1.5 L / 100 km – et sa batterie de 40 kWh est l’équivalent d’un réservoir de 4 litres !
Sur son cycle de vie, un véhicule 100% électrique représente entre 40 et 60% de CO2 en moins par rapport à un véhicule thermique – et jusqu’à 80% de moins pour un véhicule utilitaire, dont le kilométrage moyen est bien supérieur à celui d’une voiture particulière. Et cette analyse ne prend pas en compte la ré-utilisation des batteries en 2ème vie, qui n’est pas un fantasme mais bien une réalité : en France, le DataCenter Webaxys située près du Havre exploite une batterie de deuxième vie de Nissan LEAF 24 kWh première génération depuis juin 2016 :
A Amsterdam, c’est le stade Johan Cruijff Arena qui s’est équipé de l’équivalent de 148 packs batteries de Nissan LEAF pour un total de 2.8 MWh de capacité de stockage (1h d’autonomie du stade) et 3.0 MW de puissance (soit l’équivalent de 7000 foyers). En effet ses 7000 m² de toiture sont équipés de 4200 panneaux solaires pour 1.1 MW crête et 930 MWh par an… qui étaient produits la journée et sont désormais ré-utilisés le soir quand on lieu les matchs et les concerts :
L’analyse du cycle de vie ne prend pas en compte non plus la formidable opportunité de l’usage de la batterie, en première vie, dans le cadre du Vehicle-to-Grid V2G. Et comme pour les batteries de 2ème vie il ne s’agit pas d’un fantasme puisque le V2G devient désormais une réalité commerciale.
A retenir :
Le véhicule 100% électrique à batterie dispose d’un avantage unique : sa batterie. Bien sûr, celle-ci a un impact énergétique à la fabrication, qui est très rapidement compensé par l’absence de CO2 émis en phase de roulage sans parler bien entendu, des autres gaz d’échappement qui sont tout simplement inexistants. Le bilan carbone est très favorable et ce sans intégrer la seconde vie des batteries ni l’usage additionnel qui peut-être fait des batteries dans leur première vie, ce qui améliore encore sensiblement son bilan environnemental.
Transformation de l’automobile d’un vecteur de mobilité vers un vecteur d’énergie mobile
Oui, l’automobile se transforme. Plus efficiente grâce à l’électrification, elle devient moins polluante et moins émettrice de CO2. Elle devient plus partagée, qu’il s’agisse du véhicule-même ou de sa batterie qui sert d’autre fins que la seule mobilité individuelle. Enfin n’oublions pas un élément essentiel… quel plaisir de conduite !
Un peu de lecture pour aller plus loin :
- Publication de Carbone 4 : la France amorce le virage vers le véhicule électrique
- Reuters : Les groupes d’énergie lorgnent sur les batteries des voitures électriques
- Synthèse AVERE Rapport RTE : une intégration de la mobilité électrique sans difficulté pour le réseau
- Rapport RTE complet (82 pages) : Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique
- Gestion de l’énergie défi du millénaire
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