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La France prévoit une décarbonation quasi complète des transports en 2050, et il serait utopique d’imaginer y arriver sans toucher à la voiture, qui représente plus de la moitié des émissions de CO2 de ce secteur et près de 80 % des distances parcourues. Le report modal vers les transports moins carbonés est nécessaire mais pas suffisant, c’est pourquoi la voiture électrique est un enjeu majeur. Elle est largement plébiscitée par les pouvoirs publics, conduisant les grands acteurs industriels à orienter l’essentiel de leurs investissements de R&D dans cette voie. Mais est-ce une si bonne idée ?
Comme le montrent les travaux de Carbone 4 1, la voiture électrique est, à caractéristiques comparables, meilleure pour le climat qu’une voiture thermique dans quasiment tous les pays du monde, même ceux où l’électricité est très carbonée, comme la Pologne ou l’Allemagne. Ces résultats se fondent sur une analyse en cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre, donc en intégrant la production des batteries électriques. En France, une voiture électrique vendue aujourd’hui a une empreinte carbone trois fois moindre qu’une voiture thermique comparable.
Une empreinte carbone favorable Empreinte carbone d’une berline en fonction de sa motorisation et du pays d’utilisation, en gCO2e/km
N. B. : hypothèses de 200 000 km parcourus sur la durée de vie de la voiture ; capacité de batterie de 60 kWh pour les voitures électriques ; les calculs tiennent compte d’une décarbonation progressive des mix électriques concernés, selon les scénarios de l’AIE (RTS 2017, scénario tendanciel tenant compte des politiques de décarbonation annoncées).
Source : analyses Carbone 4
Une empreinte carbone favorable
Les travaux de Carbone 4 sont corroborés par ceux d’autres organismes : l’Ademe (l’Agence de la transition écologique), l’ONG européenne Transport & Environment (T&E) ou l’entreprise Bloomberg spécialisée dans l’information pour le secteur financier.
Quid des autres motorisations ?
La voiture à hydrogène présente des résultats similaires, pourvu que l’hydrogène soit produit à partir d’électricité peu carbonée. Mais avec le mix électrique européen, la production par électrolyse conduit à des résultats défavorables, voire très défavorables, dans des pays comme l’Allemagne. Par rapport à l’électrique, l’hydrogène a l’avantage d’offrir une grande autonomie et de permettre des « pleins » aussi rapides que pour les carburants actuels, mais il est handicapé par son coût. Aussi cette motorisation n’est-elle pertinente que pour quelques cas d’usage très spécifiques tels que taxis ou poids lourds longue distance. A plus long terme, et pourvu que les coûts baissent, elle pourrait répondre à des usages plus nombreux pour le transport lourd, de voyageurs ou de marchandises, afin de pallier les limites de la batterie. Il ne faut donc pas opposer les deux types de technologie, mais imaginer les batteries électriques et les piles à hydrogène comme des briques complémentaires d’une mobilité 100 % électrique dans le transport lourd.
La voiture hybride, rechargeable quant à elle, souffre de défauts qui la rendent incompatible avec l’ambition climatique de la France. Elle est comme le couteau suisse, qui permet de faire beaucoup de choses, mais moins bien qu’avec des outils spécifiques. De fait, la majorité des utilisateurs d’une voiture hybride rechargeable roulent la plupart du temps sur le moteur thermique. Par ailleurs, ce même moteur thermique offre en général un rendement plus faible que celui des voitures thermiques comparables. La performance du véhicule est d’autant moins bonne que la présence de deux motorisations plus la batterie augmente significativement sa masse, entraînant une dépense énergétique supplémentaire pénalisante sur les trajets où le mode électrique n’est pas utilisable.
En d’autres termes, l’hybride rechargeable2 est une fausse bonne idée pour le climat : elle n’améliore pas suffisamment l’empreinte carbone des déplacements au regard des objectifs climatiques. Elle est pourtant favorisée par la réglementation européenne et constitue une technologie rassurante pour les automobilistes se sentant concernés par les enjeux environnementaux mais pas prêts à franchir le pas du 100 % électrique.
Une grosse voiture électrique avec une batterie de 90 kWh ou plus (cas de nombreuses berlines allemandes ou de certaines Tesla) peut générer dans un pays comme l’Allemagne des émissions comparables, voire supérieures, à une citadine thermique. La réglementation actuelle est dans ce cas parfaitement trompeuse car elle qualifiera la première de vertueuse, alors que la seconde sera pénalisée : en effet, le règlement CO2 des voitures neuves en vigueur dans l’Union européenne n’est fondé que sur les émissions à l’échappement, et pas sur l’ensemble du cycle de vie.
Ainsi, vouloir reproduire coûte que coûte les schémas de fonctionnement tels qu’ils sont ancrés dans les pratiques aujourd’hui avec des autonomies de plus de 500 km pour les voitures électriques, c’est se tirer une balle dans le pied : cela renchérit fortement cette alternative tout en dégradant son intérêt environnemental, que ce soit pour l’empreinte carbone, mais aussi plus largement pour tous les impacts que peut avoir l’exploitation minière pour les batteries. Les autorités publiques doivent donc reconsidérer les règles de mesure des émissions de CO2 des véhicules neufs en Europe pour éviter qu’elles ne deviennent contre-productives, et inciter à la sobriété d’usage avec des règles basées sur la masse des véhicules et la capacité des batteries.
En outre, il faut mener une réflexion majeure sur un maillage d’infrastructures de charge optimisé sur le territoire, notamment pour la longue distance. L’option germanique de l’« ultra-fast charging », c’est-à-dire la charge à très forte puissance jusqu’à 350 kW, ne paraît pas être la bonne solution car elle renchérit l’accès à l’électromobilité (véhicules et recharge), au détriment du foisonnement des points de charge de puissance intermédiaire. Démocratiser la voiture électrique passe par un maillage de recharge équilibré et accessible à tous, pas uniquement premium.
Il est crucial de souligner que la technologie seule ne permettra pas de réduire suffisamment nos émissions dans les prochaines décennies. Si l’on ne change rien à notre mobilité, l’électrification du parc automobile permettrait de diviser par 3 les émissions des voitures en France. Or, c’est un facteur 5 à 6 qu’il faut atteindre à l’horizon 2050.
La combinaison idéale : rétrofit avec batterie moyenne associée avec maillage resserré de recharges essentiellement lente et à domicile ou sur lieu de travail.
Ainsi, il est nécessaire d’aller au-delà du simple changement de motorisation, et mobiliser d’autres leviers en parallèle. D’abord, réduire les flux : moins de déplacements et moins de kilomètres pour les personnes et les marchandises. Ensuite, favoriser le report modal vers les modes de transport les moins carbonés, comme le train. Enfin, mieux remplir les véhicules : lutter contre l’autosolisme et réduire le vide dans les camions.
Pour réussir cette transformation en profondeur de notre mobilité, la voiture électrique peut être une alliée. En effet, elle présente un certain nombre de caractéristiques différentes de ce à quoi les automobilistes ont été habitués au cours des décennies. Elle implique une remise en cause de notre rapport à la mobilité fondé sur le toujours plus (plus puissant, plus rapide, plus loin), sans toutefois bouleverser les usages. Ainsi, elle est non seulement une solution de mobilité individuelle très pertinente à moyen terme, mais elle peut permettre une décarbonation à plus grande échelle encore en 2050. Source article
- 1. La publication de Carbone 4 « Transport routier : quelles motorisations alternatives pour le climat ? »(2020), qui présente une comparaison d’empreintes carbone des motorisations alternatives pour différents types de véhicules terrestres en Europe.
- 2. Sur les hybrides rechargeables, l’article de Carbone 4 « Véhicule hybride rechargeable : atout ou frein dans la décarbonation routière ? » (2020) et les études de l’ICCT et T&E qui y sont citées.