Transition verte: peut-on vraiment comparer les dépendances aux métaux rares et au pétrole?

par La rédaction Et si la transition énergétique n’était pas le simple glissement d’une dépendance au pétrole vers une dépendance aux métaux critiques? Les discours politiques empruntent souvent cette analogie séduisante, mais la réalité est plus complexe. Le risque serait que cette comparaison donne un mauvais cadrage aux enjeux de la transition énergétique.
Tandis que la transition énergétique accélère en Europe, une idée semble s’être imposée dans le débat public. Notre dépendance aux énergies fossiles aurait glissé vers une nouvelle dépendance, cette fois aux matières premières critiques, comme le lithium ou les terres rares.
Il n’est pas rare que cette comparaison soit faite dans les débats télévisés, mais également à l’occasion de déclarations politiques, tant au niveau national qu’international. Par exemple, lors d’un discours de 2023 traitant de la relation Chine-Union européenne (UE), la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen traçait un parallèle clair entre la dépendance de l’UE aux énergies fossiles et sa dépendance naissante aux matériaux critiques :
« Les transitions […] seront permises par les matières premières. Le lithium et les terres rares sont déjà en train de remplacer le gaz et le pétrole au cœur de notre économie. […] Nous devons éviter de tomber dans la même dépendance que pour le pétrole et le gaz. »
Si cette analogie alerte, à juste titre, sur la vulnérabilité europénne des approvisionnements en métaux – pour une large part envers la Chine, elle repose sur une vision simpliste et trompeuse des chaînes d’approvisionnement mondiales, de la nature physique de ces ressources et des rapports de force géoéconomiques.
Elle participe à véhiculer de fausses croyances non seulement sur la nature du commerce international de ces matières premières critiques, mais aussi, plus globalement, sur la nature de la transition énergétique.
Peut-on vraiment comparer le lithium au gaz russe ? Le cobalt au baril de Brent ? La réponse est : non. Pour plusieurs raisons.
Matières consommables contre recyclables
À la différence du pétrole ou du gaz, qui sont des consommables détruits par leur usage, les métaux ne disparaissent pas une fois utilisés. Grâce à leurs propriétés physiques, ils peuvent être recyclés indéfiniment sans perte de qualité, contrairement à des matériaux comme le plastique, dont la recyclabilité est limitée.
Cette caractéristique leur permet d’être réinjectés dans des boucles de réutilisation au sein d’une économie circulaire. Si le recyclage des métaux employés dans les technologies bas carbone, comme les batteries lithium-ion, reste aujourd’hui marginal, c’est moins en raison de verrous techniques que du faible volume de produits en fin de vie actuellement disponible.
Mais à mesure que les premiers équipements arriveront en fin de cycle, le recyclage pourra devenir une source majeure d’approvisionnement en métaux dits « secondaires ».
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le recyclage pourrait réduire de 25 à 40 % les besoins en nouvelles extractions. Selon la fédération européenne Transport & Environment, en intégrant les rebuts de production, le recyclage pourrait couvrir jusqu’à 40 % de la demande européenne d’ici 2030 – et près des deux tiers à l’horizon 2040.
Contrairement à ce qu’ont été le pétrole et le gaz pour l’UE, la dépendance actuelle du continent européen pourrait donc bien se réduire rapidement, pour peu que l’Europe investisse dans ce maillon de souveraineté.
Des enjeux de dépendance qui se posent différemment
La question de la sécurité d’approvisionnement en métaux ne se pose pas dans les mêmes termes que celle du gaz ou du pétrole. Alors que les hydrocarbures concernent l’ensemble des consommateurs de façon directe (notamment afin de fournir du carburant pour les transports ou une source d’énergie pour le chauffage), les métaux ne deviennent stratégiques que dans la mesure où un pays développe des capacités industrielles qui en dépendent. Autrement dit, s’ils sont nécessaires à une production nationale d’énergie bas carbone.
Cette distinction est essentielle, car elle permet de hiérarchiser les vulnérabilités : on ne s’inquiète pas de la dépendance en matériaux pour lesquels il n’existe pas de tissu industriel local.
Par exemple, l’industrie de fabrication de panneaux solaires est au point mort en France. Pour l’heure, l’approvisionnement en métaux pour ces derniers n’est pas un sujet prioritaire de sécurité d’approvisionnement.
À l’inverse, les métaux indispensables à la production de batteries pour véhicules électriques – comme le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse ou le graphite – sont devenus des enjeux majeurs pour la France et pour l’Europe, en raison du déploiement local massif de projets de gigafactories.
C’est précisément cette logique industrielle qui a été invoquée pour justifier le projet d’ouverture d’une mine de lithium à Échassières, dans l’Allier, afin d’alimenter les usines de batteries du nord de la France.
Une dépendance chinoise à relativiser
En dépit de sa position dominante sur le marché de nombreux métaux critiques, la Chine ne peut pas « arsenaliser » (c’est-à-dire, instrumentaliser à des fins géopolitiques) aussi facilement la dépendance aux métaux que la Russie a pu le faire avec le gaz.
En effet, les chaînes de valeur des matières premières critiques (lithium, terres rares, etc.) sont beaucoup plus fragmentées et capables de se réorganiser. Certes, Pékin détient une position dominante dans l’extraction des terres rares et dans le raffinage du lithium, mais sa capacité à s’en servir comme levier de coercition est entravée par plusieurs facteurs :
- d’abord, son contrôle sur les exportations reste limité par la corruption locale et par l’ampleur du marché noir, comme l’ont montré les difficultés à faire appliquer l’embargo sur les terres rares, en 2010, aux entreprises chinoises exportatrices ;
- ensuite, les États importateurs disposent d’une palette d’options de repli : diversification des fournisseurs, constitution de stocks stratégiques, investissements publics dans de nouvelles capacités de raffinage ou développement de technologies de substitution. C’est ce qu’a démontré le Japon, qui, après l’embargo de 2010 sur l’exportation de terres rares par la Chine, a rapidement sécurisé des alternatives via des investissements en Australie et aux États-Unis, affaiblissant mécaniquement l’influence chinoise ;
- enfin, la Chine elle-même dépend, par ailleurs, fortement d’importations de matières premières non transformées, notamment en provenance d’Australie et d’Amérique latine pour le lithium, dont elle assure le raffinage à hauteur des deux tiers de la production mondiale. Cette interdépendance réduit la marge de manœuvre stratégique de Pékin : toute tentative de chantage à la restriction d’exportation risquerait de se retourner contre ses propres industries consommatrices de lithium.
Bref, à la différence du gaz russe – centralisé, peu substituable à court terme et distribué par des infrastructures fixes –, les métaux s’échangent sur des marchés mondiaux plus diversifiés, flexibles et adaptables. Ils sont donc moins facilement « arsenalisables ».
Et puis, et c’est probablement ce qui révèle une lecture erronée des rapports de force géoéconomiques, les marchés du lithium et des terres rares sont beaucoup plus petits que ceux du pétrole et du gaz, tant en valeur qu’en volume. En 2024, le marché mondial des hydrocarbures pesait près de 6 000 milliards de dollars, contre seulement environ 28 milliards pour le lithium et de 4 milliards à 12 milliards pour les terres rares.
Depuis la fin des années 2010, l’Agence internationale de l’énergie alerte régulièrement sur l’explosion à venir de la demande pour ces matériaux, portée par l’électrification des usages. Pourtant, même en cumulant leurs pics de production respectifs, les terres rares et le lithium, même s’ils sont centraux pour la transition énergétique, ne représentent qu’une part infime du marché pétrogazier mondial.
Ne pas confondre transition énergétique et accumulation de sources d’énergie
L’idée même de transition énergétique des énergies fossiles vers les métaux tend à dissimuler une réalité bien plus prosaïque : celle de l’accumulation des sources d’énergie plutôt que de leur substitution.
Comme le théorise l’historien Jean-Baptiste Fressoz, l’histoire énergétique ne connaît pas de véritables ruptures où une énergie en remplacerait totalement une autre. Au contraire, les transitions s’effectuent par empilement : chaque nouvelle source vient s’ajouter aux précédentes, sans les faire disparaître. Cette dynamique remet en cause les récits optimistes qui laissent penser que les énergies fossiles seraient bientôt reléguées au passé.
Malgré les scénarios prospectifs et les engagements des grandes économies à atteindre la neutralité carbone, il est probable que l’usage du pétrole et du gaz se maintiendra dans de nombreux secteurs. Les technologies bas carbone ne remplaceront pas tous les usages permis par les hydrocarbures, en particulier dans les domaines où ils restent difficilement substituables, notamment dans l’industrie : il reste difficile de produire de l’acier vert.
Autrement dit, loin d’acter la fin des fossiles de façon nette et précise, la transition énergétique risque de passer par une phase de coexistence prolongée.
En définitive, l’idée d’un transfert de dépendance du pétrole vers les métaux ne résiste pas à l’analyse. Ni leurs propriétés physiques, ni la structure des marchés, ni la géopolitique de leur approvisionnement ne permettent de calquer les logiques de la rente fossile sur celles des matières premières critiques.
Penser la transition énergétique à travers le prisme d’une substitution binaire masque la complexité des interdépendances industrielles et pourrait conduire à de fausses priorités stratégiques. Repenser la dépendance, ce n’est donc pas rejouer la guerre du gaz avec de nouveaux matériaux, mais comprendre les spécificités des chaînes de valeur des technologies bas carbone – et concevoir des réponses politiques à la hauteur de ces réalités.
Lucas Miailhes, doctorant en Science Politique/Relations Internationales, Institut catholique de Lille (ICL).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.
Conclusion Acti-VE
L’idée d’un simple transfert de dépendance est rejetée. Les propriétés physiques des métaux, la structure de leurs marchés et leur géopolitique ne peuvent être calquées sur la logique de la rente fossile. Penser la transition par ce prisme binaire masque la complexité et risque de mener à de fausses priorités stratégiques.
Pétrole ou Métaux : Une Fausse Alternative
Le choix n’est pas vraiment entre le pétrole et les métaux, car les métaux sont nécessaires pour s’éloigner du pétrole.
- Le Pétrole est un Consommable Destructif : Le pétrole et le gaz sont des hydrocarbures qui, une fois brûlés, sont détruits et libèrent du CO2. Leur usage est intrinsèquement lié au changement climatique.
- Les Métaux sont des Matériaux Structurels : Le lithium, le cobalt, les terres rares, etc., sont nécessaires pour construire les infrastructures de l’énergie propre (batteries, éoliennes, panneaux solaires). Le grand avantage, comme l’article le soulignait, est qu’ils peuvent être recyclés et réutilisés presque indéfiniment.
Mon opinion : La dépendance aux métaux est une dépendance de transition et de construction, potentiellement réductible par l’économie circulaire. La dépendance au pétrole est une dépendance de consommation et de pollution, qu’il est urgent d’abandonner.
Faut-il Toujours Puiser la Terre ?
À court et moyen terme, la réponse est oui, il est impossible d’éviter de puiser la terre, mais l’objectif est de réduire massivement cette dépendance.
La Nécessité de l’Extraction Initiale
La transition verte est, pour l’instant, une transition minière. Pour remplacer un parc mondial de milliards de véhicules thermiques et construire de nouvelles capacités de production d’électricité renouvelable, il faut une quantité initiale massive de métaux que le recyclage seul ne peut pas fournir aujourd’hui. Les stocks de métaux dans les vieux équipements sont insuffisants.
La Solution à Long Terme : L’Économie Circulaire
L’objectif de la transition n’est pas de substituer une mine de pétrole par une mine de lithium, mais de passer d’un modèle linéaire (Extraire → Transformer → Consommer → Jeter) à un modèle circulaire (Extraire → Transformer → Utiliser → Recycler → Réutiliser).
Plus l’Europe et le monde investiront dans la R&D, l’écoconception et les infrastructures de recyclage (les “mines urbaines”), plus les besoins en extraction primaire diminueront à mesure que les premiers équipements (batteries, éoliennes) arriveront en fin de vie.
Conclusion: La dépendance aux métaux rares est un mal nécessaire pour construire un système énergétique durable. Le véritable enjeu n’est pas l’extraction en soi, mais d’assurer que cette extraction initiale soit la dernière nécessaire à grande échelle avant que le recyclage ne prenne le relais.
Oui, les métaux se recyclent fondamentalement (théoriquement et pratiquement) bien mieux que les rejets issus de la consommation du pétrole.
Voici la distinction clé :
1. La Nature des Métaux : Recyclabilité Perpétuelle
- Propriété physique : Les métaux (fer, aluminium, cuivre, et les métaux rares) sont des éléments chimiques. Ils peuvent être fondus et réutilisés indéfiniment sans perdre leurs propriétés intrinsèques ou leur qualité. C’est ce qu’on appelle le principe de la recyclabilité infinie (pour la majorité d’entre eux).
- Impact : Le recyclage des métaux permet d’économiser une quantité énorme d’énergie et de CO2 par rapport à la production primaire (extraction et raffinage du minerai). Par exemple :
- Le recyclage du cuivre permet d’économiser environ 85 % d’énergie.
- Le recyclage de l’aluminium permet d’éviter l’émission de près de 9 tonnes de CO2 par tonne produite.
2. La Nature du Pétrole (et ses produits)
Il faut distinguer deux usages du pétrole :
A. Le Pétrole en tant qu’Énergie (Carburant)
- Rejets : Lorsque le pétrole (ou le gaz) est brûlé pour produire de l’énergie (transport, chauffage, électricité), il est consommé et ses rejets principaux sont le CO2 et d’autres polluants dans l’atmosphère. Ces rejets ne sont pas recyclables au sens matériel. Ils ne peuvent pas être réintégrés dans une boucle de réutilisation pour reformer du pétrole ou du gaz.
B. Le Pétrole en tant que Matière Première (Plastiques)
- Rejets : Les plastiques sont quasi exclusivement fabriqués à partir d’hydrocarbures.
- Recyclabilité limitée : Les plastiques peuvent être recyclés (mécaniquement ou chimiquement), mais :
- Le taux de recyclage est encore faible globalement (environ 25 % en France en 2020 pour les plastiques, par exemple).
- Le processus est souvent limité en nombre de cycles, car la qualité du plastique diminue (contrairement aux métaux). De nombreux types de plastiques (thermodurcissables, composites) sont difficiles, voire impossibles à recycler par les voies mécaniques traditionnelles.
En conclusion
Le cycle de vie des métaux est intrinsèquement plus durable que celui du pétrole (utilisé comme énergie ou pour les plastiques) grâce à leur capacité à être réutilisés comme matière première secondaire de haute qualité, réduisant la dépendance à l’extraction minière sur le long terme. Le pétrole consommé comme carburant, lui, n’a aucune “seconde vie” matérielle.